Restons poly

Le cœur transpercé

portrait de caroline Saillet

Cette Semaine Sainte a été des plus difficiles. Marie Océane était entre la vie et la mort, ne pouvant plus respirer à cause d’une grippe A et d’une pneumopathie d’inhalation gravissime. En toute humilité, j’ai ressenti beaucoup de ce que le Christ a dû vivre au cours de cette semaine si douloureuse. C’était extrêmement troublant.  

La peur de l’issue de son état, l’angoisse extrême jusqu’à en transpirer. La douleur de voir mon enfant tant souffrir et de ne rien pouvoir faire. Elle étouffait et me regardait avec tellement d’angoisses dans les yeux. Elle tirait ses bras en l’air, en croix. Je ne pouvais qu’être à ses côtés, nuit et jour, et prier, prier, prier. Mon cœur transpercé explosait de douleur et d’angoisse. Mon impuissance face à l’accélération des symptômes qui l’ont conduite en réanimation. La seule chose que j’ai hurlée en arrivant : « J’ai soif, j’ai soif ! ». C’en était troublant.

« Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » Non, je voulais croire de toutes mes forces que Dieu était à nos côtés pour la sauver, pour nous porter, pour pleurer avec nous. Les bras au-dessus de sa tête, le corps meurtri, amaigri de Marie Océane, posée sur le dos sans pouvoir changer de position, sa souffrance que je lisais sur son visage : tout me ramenait au Christ. J’ai vu une image du Christ sur la croix, et ses jambes étaient dans la même position que celles de notre fille. Je me suis demandé si je devenais folle, si j’avais le droit de comparer ses jambes à celles du Christ crucifié. Mais c’était incroyable. Marie Océane est innocente, confiante, courageuse jusqu’à l’extrême, et la première chose qu’elle nous a dite en réanimation fut : « Je vous aime », les bras croisés sur son cœur. Alors qu’elle était épuisée et n’ouvrait même plus les yeux : l’amour en premier.

À l’hôpital, dans chaque service où elle est passée, Marie Océane a témoigné combien elle était belle, aimable et aimée de sa famille proche et élargie, de nous tous qui avons été très touchés par sa souffrance et son désir de vivre. Elle avait la visite chaque jour de ses amis de l’Arche, qui ne l’ont pas lâchée. Chaque soignant m’a touchée. Tous étaient désemparés par le handicap, mais tous se sont mis pleinement à l’écoute de Marie Océane par notre intermédiaire. Le dernier jour, deux aides-soignantes et une infirmière se battaient pour la laver et l’habiller. Elles se sont attachées à cette petite patiente si courageuse, qui n’a jamais rien dit. Une larme a coulé sur sa joue deux fois. C’est tout.

Aujourd’hui, dix-huit jours après, Marie Océane a gagné son combat pour vivre. Encore une fois.

Caroline Saillet, ombresetlumiere.fr – 16 avril 2024

Psychomotricienne par vocation, Caroline Saillet a toujours été proche des personnes porteuses de handicap. Mariée à Hubert Saillet, notre ancien chroniqueur, elle est mère de cinq enfants, dont Marie Océane, polyhandicapée. Bricoleuse, créative, un peu hyperactive, elle dévoile des recoins du quotidien et des réflexions sur le polyhandicap en partant de son expérience.

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